Croyez-vous aux fantômes ? Pas ceux qui font le bonheur ou le cauchemar des aficionados du fantastique ou de l’horreur mais plutôt ceux que l’on pensait à jamais égaré dans les limbes du passé, ce poids de l’histoire que chacun porte en lui, cet héritage parfois si pesant à le supporter et à l’assumer au fil du temps qui passe, qu’il faudra pourtant bien comprendre, un jour, à défaut de l’accepter ...
Roman noir ou enquête policière, le frontière est mince s’il fallait étiqueter Oubli interdit, le thriller n’est jamais loin non plus au regard de ces séquences anxiogènes, entre la mer et la montagne, entre la recherche d’indices pour tenter d’élucider le mystère de plusieurs disparitions inquiétantes, Pierre Brocchi dévoile une plume exigeante et rigoureuse, loin des codes narratifs reconnaissables entre mille, cette histoire se dévoile progressivement pour ne laisser au lecteur le choix que de plonger dans les souvenirs d’une époque troublée et marquée du sceau de l’infamie, les étiquettes deviennent alors dérisoires, le roman transcende et emporte l’émotion vers de nouvelles destinations.
Les voies du Seigneur sont impénétrables entendons-nous souvent, où se situe vraiment la limite entre le bien et le mal, ce qui peut laisser supposer le libre-arbitre peut-il pardonner tout acte de bravoure, parfois au détriment du bon sens, les rôles inversés, le poids des décisions, la perte irréparable des siens dans un conflit guerrier qui dépasse l’entendement, incontrôlable destinée dans laquelle les plumes laissées pourraient suffit à établir des matelas d’infortune, de souffrance infinie.
L’idée de revivre des événements encore aujourd’hui hantés par des zones d’ombre invite le lecteur à la réflexion, à puiser dans ses réserves d’empathie ce devoir de mémoire, l’influence qui vrille et fait apprécier le quotidien est-il proportionnel à nos devenir, Oubli interdit n’est-il autre chose qu’un appel irrépressible à la vengeance à tout prix, le sang doit-il obligatoirement répondre par le ... sang, à quel instant la chaîne peut-elle se briser et espérer entrevoir de nouveaux horizons.
Ne vous méprenez pas, si la narration est dense, si parfois le sentiment de ne pas accrocher les wagons pourrait vous éloigner du fil conducteur, j’ai résisté et souffert comme les protagonistes, personne n’en sort indemne, cette quête de la vérité équivaut à une course de tous les obstacles, entre huis-clos et voyage introspectif, l’enquête policière se révèle particulièrement passionnante, pour retracer tout ce qui s’apparente à un long chemin de croix, les fantômes du passé ne finissent pas de planer, les vivants tentent de rester à la périphérie jouxtant les abysses innommables, les révélations suivent les rebondissements d’un jeu de piste meurtrier, chaque pièce du puzzle aura son importance au fil de l’avancée du tableau d’ensemble, de la surface des choses au reflet d’une terrible machination, la construction de l’histoire dévoile alors son implacable démonstration de force.
De fil en aiguille dans les méandres des souvenirs, les spectres n’apparaissent jamais là où on les attend, figure du mal ou de la rédemption, il suffit parfois de tendre le cou pour apercevoir que rien n’est jamais aussi limpide que l’eau de la Méditerranée, l’auteur adopte volontiers les chaises volantes pour s’aventurer dans d’autres questionnements tels que les cercles familiaux, les secrets de polichinelles se transforment en règlements de comptes à OK Corral, la personnalité des uns contrastent avec le désordre mental des autres, à l’instar d’un jeu de stratégie, ce n’est pas toujours la pièce majeure qui pourrait l’emporter.
Du paradis à l’enfer, le chemin n’est pas toujours pavés de bonnes intentions, l’histoire ne se laisse pas si facilement contée, tantôt exigeante à en comprendre les tenants et aboutissants, tantôt limpide devant l’acte de contrition, l’annihilation des derniers doutes soulèvent d’autres thématiques tout aussi incontournables, de la poussière soulevée pourrait voir se dessiner d’irréductibles démons intérieurs, dans sa bouleversante conclusion, la rédemption se voudra-t-elle l’ultime salut d’un héritage trop lourd à porter ?
L’ambiguïté défit l’air du temps, du plus loin qu’il est possible de creuser la terre de ses fondations, les feuilles tombent suivant le cycle immuable des saisons, les peines incommensurables sont d’une bouleversante profondeur pour en capter l’impact, un polar percutant et regorgeant suffisamment de moments forts dans le registre émotionnel, le poids de l’histoire qui continue à hanter la mémoire des vivants ou à trahir d’autres vérités, le sang jaillit des entrailles de la mère matrice et ressuscite la lumière trop longtemps éteinte, trop longtemps oublié ...
De sa belle plume empreinte d’une poésie résolument humaniste et cherchant avant toute chose à multiplier les points de rencontre, passé et présent, vivants et morts, mensonges et vérité, ombre et lumière, dans cette croisée des chemins, l’auteur antibois qui aime bien châtie bien pour faire ressortir du lecteur le meilleur de lui-même, en le poussant finalement dans ses derniers retranchements, à l’instar de son ancien métier de professeur de sport, la vie n’est-elle alors que l’aboutissement à toucher le fond, à remuer la vase afin de se révéler dans toutes ses valeurs physiques mais surtout mentales, des valeurs humaines qui flirteront avec la psyché de la plus élémentaire à celle qui cherche invariablement à se soustraire de ses contraintes, à se libérer totalement. Enfin.
Ce magnifique roman noir de bout en bout m’a si souvent fait côtoyer les ténèbres que je me suis bien volontiers laisser enivrer par les magnifiques descriptions de l’arrière-pays niçois, de ces champs à la couleur ocre décrits comme si mes sens se confondaient avec les mots, de ces appels des sirènes du grand bleu à la tragédie moderne d’une longue et lente descente aux enfers, de cette’ambiance balançant entre claustrophobie et espace de liberté, une belle découverte qui me fait déjà me pencher vers le précédent polar de Pierre Brocchi publié chez le même éditeur, Editions Lucien Souny, Aucun répit. A suivre.
Disponible dans les deux formats directement ici http://www.luciensouny.fr/catalogue/polars/oubli-interdit/